Le bienfaiteur de la France

Napoléon a réussi à exporter la révolution française en Europe ainsi que certaines de ses admirables réalisations. A Aboukir, à Austerlitz, à Iéna, à Borodino il a vaincu l’hégémonie du vieil ordre européen, parfois de façon retentissante, parfois avec des pertes considérables. Certains de ces souverains ont modifié leur mode de pensée et ont adopté les idées et principes français, ils ont également relancé un coup crucial à Leipzig le 19 octobre 1813.

Lors de la conférence de la paix qui a fait suite à cet événement, les vainqueurs n’ont pas choisi d’écraser la France: ils ont envoyé Bonaparte en exil. Cependant tout a changé quand ce corse s’est évadé de l’île d’Elbe et que le 18juin 1815 il a dirigé une nouvelle armée contre ses ennemis unis. Il s’agit des cent jours des dernières actions du destructeur de notre continent.

 

Le général Blücher et Talleyrand

Au cours de l’été 1815, les Prusses et leurs alliés sont entrés dans Paris. Le général Von Blücher a provoqué l’explosion du pont Iéna sur la Seine, qui avait été construit afin de rappeler au monde la défaite humiliante des Prusses par les français en 1806. Le premier ministre de France, Talleyrand, qui avait repris ses fonctions, a menacé via un émissaire qu’il allait se tenir au milieu du pont afin d’empêcher le général allemand de l’exploser.

Blücher a un peu réfléchi et ensuite il a dit à ses soldats d’attendre que Talleyrand soit arrivé au milieu du pont avant de l exploser. Depuis cet événement les français ont donné le nom de Blücher à leur chien sanguinaire. En revanche, il considère Talleyrand comme leur bienfaiteur puisque, grâce à ses habiles manœuvres diplomatiques, il a empêché le démantèlement de la France. Voilà, tout du moins, ce que l’on enseigne dans les écoles françaises. La vérité est que durant cette époque critique pour la France les historiens pensent aujourd’hui que la théorie de Talleyrand “bienfaiteur “, sur la base d’un texte de l’époque, montre que son amour des intrigues et son charme malicieux n’était plus à la mode. Il a menacé les alliés de démissioner si la France était démantelée. Cela n’importait pas les alliés et le monarque bourbon a accepté sa démission.

 

Le cinquième duc de Richelieu 

Armand Emanuel du Plessis, cinquième duc de Richelieu, a eu une longue relation avec les rois “légitimes” de France, comme son nom l’indique. Il a quitté la France après la révolution et est entré au service de l’empereur de Russie. Ce dernier l’a chargé parmi d’autres tâches, de fonder la ville d’Odessa. Son talent organisationnel était bien supérieur à la moyenne. Désormais, une métropole russe rayonnante dominerait la mer noire pour les siècles à venir.

Richelieu est rentré en France avec les Bourbons et a assumé la fonction de premier ministre après Talleyrand. Totalement désespéré, il est allé dans les appartements qu’occupait le tsar quand il était en France. On venait de lui annoncé le démantèlement du pays tant au niveau territorial qu’économique. Il a été reçu par le jeune confident d’Alexandre I, le comte Ioannis Capodistria qu’apparemment il connaissait bien. Richelieu a parlé à Capodistria des blessures qui allaient toucher la France. Capodistria l’a écouté calmement puis a dit:

“J’ai pensé à un moyen infaillible de sauver votre pays aujourd’hui. Demain, ce sera trop tard. Désirez-vous l’entendre ?”

“Bien sûr” a répondu Richelieu.

Capodistria est allé dans la pièce attenante et a dicté à son secrétaire Alexandros Stourtzas une lettre, supposée être de Louis XVIII au tsar. La lettre nous informe que Louis préférait déposer sa couronne aux alliés plutôt que de leur donner  la France démantelée et humiliée.

Richelieu a pris la lettre et l’a donnée au roi qui l’a recopiée de sa propre main. Le jour suivant, Stourtzas l’a remise au tsar, qui était prévenu, au moment où celui-ci négociait avec les alliés.

“Comme je m’y attendais” déclara-t-il apparemment consterné. (Napoléon a été le premier à s’apercevoir du talent d’acteur d’Alexandre.) “Maintenant nous sommes plus humiliés que jamais. Louis a abdiqué et il a raison. La France n’a plus de roi. Trouvez-m’en un autre si vous pouvez. Quant à moi, je m’en lave les mains. Le temps est venu de rentrer chez moi et d’en finir avec tout ça.”

La détermination d’Alexandre a provoqué un étonnement général. Sa colère a calmé les passions contre la France. C’est ce jour-là, à ce moment précis que la France a été sauvée du désastre. Elle a été sauvée grâce à la lucidité du comte de Corfou et le talent d’acteur de l’homme que Napoléon qualifiait du plus grand comédien de l’est (et avec lequel, disait-il, si c’était une femme j’aurais certainement eu une relation avec elle).

 

Témoignages 

Cette petite histoire est, ou devrait être, très importante pour les français. Si cette intervention n’avait pas eu lieu, leur pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. S’il n’y avait pas eu la politique de Capodistria adressée au tsar, laquelle a conduit trois ans plus tard à la réintégration de la France dans le conclave des grandes puissances. La France serait aujourd’hui un petit pays comme la Belgique cependant avec un glorieux passé révolutionnaire. Et l’Europe aurait été ravagée par des dizaines de guerres avant les grandes guerres causées par l’Allemagne durant le siècle suivant.

Richelieu a écrit au tsar le 1er octobre 1815. C’est grâce à votre déterminante intervention que nous devons l’allègement des conditions. Je sais que le comte Capodistriaétait hors de son mandat. Je prends la liberté de supplier votre majesté de ne pas le désavouer “.

De même, le comte Molé a écrit dans ses mémoires: “Si la France est toujours la France, elle le doit à trois hommes dont les noms ne devrait jamais être oubliés, à Alexandre et ses deux ministres, Capodistria et Pozzo di Borgo.

 

La récompense 

Il n’y a pas de doute que, outre sa perception purement diplomatique et ingénieuse concernant la position de la France dans l’équilibre des pouvoirs qui apporterait la paix dans le continent, Capodistria avait également d’autres attentes quant à sa position envers ce pays. Il pensait que, en ce qui concerne l’insurrection planifiée en Grèce, l’aide de la France serait la bienvenue. La France serait le contre poidsà l’attitude négative de l’Angleterre. L’histoire a pleinement justifié cette attente.

Nous ne savons pas si Richelieu et Louis connaissaient ce plan. C’est peut êtreà cause de cela qu’ils lui ont offert des récompenses plus tangibles. Louis lui a offert de l’or, mais Capodistria a refusé. Il a uniquement demandé des copies de livres de textes en ancien grec qui se trouvaient dans des bibliothèques françaises. Il désirait les envoyer à Corfou pour la bibliothèque qu’il projetait de construire.

Son offre a été acceptée mais n’a jamais été réalisée, d’après ce que nous savons. Au lieu de cela, la dynastie suivante française a pris soin d’entreprendre, avec les anglais et les “Kotsambasides” grecs, le projet d’assassiner le gouverneur grec, dix sept années plus tard. L’un des deux assassins, George Mavromichalis, a trouvé refuge à l’ambassade de France comme cela avait été convenu avant le meurtre.

Aujourd’hui, il est plus nécessaire que jamais que ces événements soient connus du peuple français. Car, peut-être c’est le devoir de l’histoire de rétablir la vérité, même si cela arrive deux cent ans plus tard. Peut-être aussi car les peuples d’Europe doivent apprendre que l’existence de l’un sert l’existence de l’autre et que le continent n’a jamais rien gagné des ruines de l’un de ses membres. Peut-être simplement pour que cette donation soit exécutée et que la nouvelle bibliothèque “Ioannis Capodistrias” ouvre à Corfou.

Panagiotis Paspaliaris


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